Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04 juin 2014

Carnet / Nocturne au vélomoteur

carnet,note,journal,prairie journal,nocturne,nuit,grande ourse,étoile,ciel,obscurité,sommeil,hypnagogique,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,écriture de soi,autobiographie,lampadaire,halo,ombrePas de flambée dans la cheminée ce soir (la flemme de remonter des bûches) mais la tentation de déclencher une petite heure le thermostat de la chaudière à gaz afin d’oublier ces températures anormalement frisquettes pour un mois de juin.

À cette époque de l’année, au moment où j’écris ces lignes, je devrais normalement être assis dehors au milieu des effluves des arbres et des buissons en fleur en train de fumer un havane capiteux. Au lieu de cela, je remonte le col de ma veste polaire et je sors sur le pas de la porte griller un petit cigare sec du genre de ceux dont on tire quelques bouffées rapides en hiver lorsqu’il fait trop froid pour rêver sous les étoiles.

Elles sont bien pâlottes cette nuit ces étoiles qui brillent par intermittence dans le ciel brouillé où se répercute l’écho sinistre du vrombissement d’un avion. Je vois ses feux clignoter très haut entre deux bandes d’espace encore dégagées. Parfois, ce grondement me tire de mon sommeil trop léger et je me retrouve dans la peau de l’enfant que j’étais à l’époque où j’habitais dans la ville provinciale des années soixante où la circulation automobile nocturne était presque inexistante.

En ce temps lointain qui était celui d’un autre monde, la fenêtre de ma chambre donnait sur une petite rue éclairée par un réverbère dont le halo filtrait à travers les persiennes. J’exigeais qu’elles fussent entrouvertes pour ne pas me sentir absorbé dans le noir complet.

À cette époque de mon très jeune âge, je ne dormais déjà que d’un œil. Il m’arrivait même de dormir les yeux ouverts, ce qui procura une nuit une belle frayeur à ma grand-mère venue discrètement vérifier si je ne m’étais pas découvert. Cela se produisait lorsque je me trouvais dans ce demi-sommeil qu’on appelle, je crois, la phase hypnagogique de l’endormissement.

Dans ces moments-là, le ronronnement lointain d’un vélomoteur m’arrivant aux oreilles que j’ai toujours eues extrêmement sensibles suffisait à ouvrir en moi un abîme de questions : comment quelqu’un pouvait-il avoir suffisamment d’audace pour rouler la nuit en vélomoteur ? Où se rendait-il à pareille heure ce motocycliste si téméraire ? Quelles ombres furtives balayait le faisceau de son phare perçant d’à peine quelques mètres l’énorme obscurité des routes de campagne encore si proches du centre ville chichement éclairé par de maigrichons lampadaires ? Quelle joie et quel tourment (mais la joie peut être aussi un tourment) jetaient-ils quelqu’un sur des routes inconnues et ténébreuses ?

Les mêmes questions me reviennent au passage nocturne de l’avion rempli de passagers somnolant dans les couloirs aériens. Le bruit étouffé de ses réacteurs, à cette distance et à cette hauteur, n’est pas si différent de celui du vélomoteur avalé par la Grande Ourse, non pas celle, rassurante, qui brille toute une belle saison à la même place, mais celle, invisible et toujours en chasse, silencieuse, qui rôde pour l’éternité et dévore tout sur son passage.

03 juin 2014

Carnet / Sous le couvercle

L'autre jour, avec Marie et une amie, nous sommes allés dîner à l'auberge du lac Genin. Ces repas tout simples que nous prenons souvent là-bas sont très bénéfiques pour mon moral fluctuant. Cet endroit est le seul où je trouve encore du charme aux soirées de printemps confisquées par les nuages.

 

carnet,journal,prairie journal,note,écriture de soi,autobiographie,blog littéraire de christian cottet-emard,jura,ain,rhône-alpes,franche comté,france,sir william walton,compositeur britannique,fernando pessoa,poésie portugaise,symphonie concertante walton,service de presse,article,climat,voyage,départ,retour

Les jours suivants, je me fais violence pour accélérer mes chantiers d’édition et lutter contre ma manie de rétention de manuscrit. Dès qu’un projet se précise, je me débrouille pour le ralentir et je n’arrive pas à comprendre pourquoi, même si la protection juridique de tous mes écrits (avec laquelle je ne badine pas) explique en partie ma lenteur dans les envois de copie.

Malgré tout, les résultats sont là : une nouvelle à finir pour boucler un ensemble constitué et déposé de longue date, trente feuillets rédigés d’un trait en deux jours d’un roman vite bouclé si je continue à ce rythme, deux recueils de poèmes à mettre en ordre, un volume de journal à sélectionner et les illustrations d’un carnet de voyage en Italie à choisir, sans compter un véritable réservoir d’ouvrages commencés et déjà menés loin mais à la rédaction volontairement différée.

Plus le temps de m’éparpiller. J’ai récemment accepté quelques ouvrages en services de presse dont l’un à paraître le 12 juin pour lequel j’écrirai un article. Je dois juste veiller à rester très sélectif.

N’ayant toujours pas trouvé le sommeil à deux heures l’autre nuit, j’ai écouté au casque la symphonie concertante de William Walton (1902-1983). J’aime beaucoup l’œuvre de ce compositeur et je suis fasciné par sa vie. Il est sorti de l’université sans diplôme, a été entouré et financièrement soutenu pendant dix ans par Édith, Osbert et Sacheverell Sitwel qui formaient un cercle artistique, ce qui lui a permis de s’adonner librement à la composition. Après une carrière de compositeur alternant musiques de films et grandes œuvres (dont certaines de circonstances) Walton, devenu Sir William Walton, a passé les dernières années de sa vie avec son épouse Susana dans une grande propriété au milieu d’une somptueux jardin de flore subtropicale sur l’île italienne d’Ischia.

Ce voyage au soleil sans retour du grand compositeur britannique  me parle car ce qui me mine en ce moment, hormis les tristesses au long cours liées aux événements de la vie privée, c’est le manque de lumière et de chaleur, le climat pourri du Jura, de l’Ain et de l’ensemble des régions où je vis.   

Pas un jour sans ce couvercle de nuages gris au-dessus de la tête. Quelques éclaircies fugaces et retour pendant des heures d’un ciel à peine digne d’un mois d’avril. Quant à la température, juin est commencé depuis deux jours aux soirs desquels j’ai allumé deux flambées dans la cheminée! L’idée de vendre et de partir vers plus de lumière, bien qu’illusoire, me traverse souvent l’esprit, surtout quand je pense à cette saleté de neige envisageable dans cinq petits mois.

Mais les déplacements ne résolvent rien car lorsque la grisaille s’installe dans la tête, on la transporte partout avec soi. Et puis, combien en ai-je vu revenir piteusement, parfois après des années, de mes amis et connaissances, qui sont partis sans avoir été conscients que ce qu’ils voulaient fuir se trouvait vissé dans leur tête.

« Qu’ils voyagent donc ceux qui n’existent pas » écrivait Fernando Pessoa.

 

Photo : le lac Genin le soir, vue de l'auberge (photo Marie)

31 mai 2014

Carnet / Du parfum des iris et des fantômes

Oppressante grisaille du Jura depuis le mois d’octobre dernier malgré un peu moins de trois petites semaines de soleil en mars. Besoin obsessionnel de lumière, sensation de vivre sous un couvercle.

Les frênes finissent enfin de faire leurs feuilles mais tout est détrempé par les averses orageuses de l’après-midi. Les pivoines sont encore en boutons et les rosiers attendent la fin du cycle calamiteux des hannetons de la Saint-Jean (une spécialité locale de prédateur dévastateur) pour fleurir. L’an dernier, toutes les fleurs ont été mangées en quelques jours. carnet,iris,fantômes,fantôme,journal,note,prairie journal,écriture de soi,fleurs,pivoines,lilas,vieux quartiers,boulevard dupuy,oyonnax,ain,rhône-alpes,france,bourgade,ville industrielle,social,culture,culture au ras des pâquerettes,bagnole,moteurs débridés,bruit,grosses cylindrées,blog littéraire de christian cottet-emard,hypnose,souvenir,friches industrielles,commerces franchisés,ambiance Pour l’instant, seuls les iris attestent d’un milieu de printemps. Ils n’intéressent ni les hannetons ni les pucerons. Je suis depuis l’enfance troublé par leur parfum discret et sévère comme étaient souvent les parfums des femmes de la petite bourgeoisie d’antan.

Iris, pivoines, fleurs des vieux quartiers bien sages repliés sur eux-mêmes des années de mon enfance. Lilas aussi, mais plus populaires car capables de pousser un peu partout. Lilas blancs pour qui voulait encanailler un peu son parc tout en se démarquant tout de même des violets plus capiteux et démonstratifs !

Dans ma modeste résidence de la campagne jurassienne sur une terre acquise par mon aïeul, la transplantation de ces plantes, fleurs et arbustes m’aide à garder à l’esprit quelques souvenirs d’un peu d’insouciance.

Je me reproche aujourd’hui d’avoir été un enfant inquiet et ombrageux au lieu de profiter innocemment, à l’époque où je vivais en ville, des ultimes douceurs de ce quartier préservé d’une bourgade qui fut tranquille et qui sombre aujourd’hui dans des abîmes de tristesse et de vulgarité.

Je ne pouvais évidemment pas prévoir que cette cité où j’ai vécu si longtemps avant de la fuir en 2009 mais où je suis bien obligé de descendre encore de temps à autres en serait réduite à ce qu’elle est désormais : un agglomérat sans âme et sans mémoire de populations déracinées soumises à la mobilité géographique professionnelle, un centre ville moribond livré au vacarme des pétrolettes débridées, aux bagnoles boîtes de nuit et aux grosses cylindrées financées on ne sait trop comment (à moins qu’on ne le sache que trop), le tout cerné par un entassement d’usines, de commerces franchisés et de friches industrielles témoignant d’une parenthèse de relative et sélective prospérité refermée en à peine quatre décennies.

Après l’argent facile et rapide pour quelques-uns, il en faudra du social pour les autres ! Il en faudra tellement que la culture y contribuera comme elle pourra, quitte à frôler les pâquerettes !

Quant à cette maison du boulevard où j’ai vécu dans une ambiance qui n’existe plus, je dois apprendre à ne plus avoir les jambes qui se dérobent et à ne plus perdre mon souffle chaque fois que je passe à proximité. Il me faudrait aussi me conditionner pour ne plus rêver que je la rachète dans le seul but de la raser au bulldozer et d’en remplacer l’espace par une vaste pelouse au milieu de laquelle je planterais un tilleul déjà suffisamment développé pour qu’il devienne vite aussi grand que l’ancien, celui qui a été tronçonné.

Peut-être devrais-je avoir recours à l’hypnose pour me délivrer de ces tourments. À bientôt cinquante-cinq ans, il serait temps, mais la vie humaine est une fabrique de fantômes dont les plus anciens ne sont pas forcément les plus redoutables...